Annik Hurst

Des décennies de journaux télévisés nous ont fait oublier que l’ensemble de la planète ne terminait pas sa journée à 20 heures. Pas à notre 20 heures, celui où s’ouvre la lucarne dans laquelle on nous raconte la journée du monde. Un vrai direct de Fidji, c’est un reporter planté dans un carrefour à 7 heures du matin, à l’heure où les enfants prennent le bus de l’école et commencent leur journée du lendemain. Il y a peu de vrais directs de Fidji. Encore moins de direct qui durerait 24 heures, le temps de voir s’écouler une journée de Fidjiens. Le 25 mars 2004, à 0h00 GMT, les photographes de Tendance floue, postés dans dix pays, ont déclenché tous en même temps. Ils sont restés 24 heures à l’endroit qu’ils avaient choisi, un carrefour routier, urbain ou fluvial. Leurs appareils ont recueilli 24 heures de direct du monde. La même tranche de temps. Pas la même tranche de vie. Dans un centre commercial souterrain à Québec, personne ne voit ce carrefour entre deux passerelles marchandes, pourtant piétiné pendant des heures par des centaines de badauds anonymes ; à Yaoundé, dans le quartier d’Essos, au contraire, ces deux morceaux de bitume qui se chevauchent sont un lieu de rendez-vous du soir. Par moins 15°C, au fin fond de la Russie, c’est avec une extrême économie de mouvement que les habitants de Malyshevo traversent le carrefour enneigé du village ; à Delhi, dans le quartier de Gold Market, les passants l’attaquent frontalement, insouciants de la pagaille qui y règne. A l’angle de l’avenue Corrientes, à Buenos Aires, hommes d’affaires, lolitas et ramasseurs de cartons accélèrent leurs pas pressés ; à Desesti, en Roumanie, quand quelqu’un apparaît là où se rencontrent les deux rues du village, c’est un événement. Sur ces carrefours, la vie passe, hésite, fait parfois une pause. Sur ces lieux de bifurcation, ces aiguillages incontournables dans la ville ou la campagne, des gens se croisent, se frôlent et s’arrêtent. Au tempo de leur vie. Entre chaque image, rapportée de chaque carrefour, le temps ne s’est pas écoulé de la même manière. Il file à Delhi et 24 heures semblent quelques minutes. Il se dilate à Timettigue, dans le Sud marocain et une journée paraît une éternité. Il coule au rythme de l’eau du Mékong sur un carrefour fluvial de Sa Dec au Vietnam. Il se fige un instant quand trois camions se retrouvent fac à face au carrefour d’Ebblinghem, dans le nord de la France, puis s’étire jusqu’à l’ennui. Cette journée ordinaire de dix carrefours du monde n’a pas partout la même allure. PHOTOGRAPHIES de Tendance Floue, réalisées en 2004 pour le magazine GEO, par dix photographes du collectif : Pascal Aimar, Thierry Ardouin, Denis Bourges, Jérôme Brézillon, Gilles Coulon, Olivier Culmann, Mat Jacob, Philippe Lopparelli, Meyer, Patrick Tourneboeuf CHEMIN DU VENT / 12mn-2009 / un film photographique et musical réalisé par Annik Hurst “Du Vent du désert aux Néons d’un centre commercial, l’Humain traverse une journée ordinaire du début du XXIe siècle...” MUSIQUES originales composées par François Jeanneau qui dirige l’orchestre du SpoUMJ (le “Soundpainting Orchestra de l'apos;Union des Musiciens de Jazz”)

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