Rappelle-toi, quand tu nous as quittés il y a pas loin d’un an, c’était pour se prendre une bonne dissolution de nimbus sur nos tronches. Je te le dis : l’équipage hétéroclite des Vidéophages, composé d’australopithèques 3.0, de louves des mers australes, de pirates qui se dilatent, a tiré des bâbords à hue et à dia, sous la tourmente des embruns un brin traîtres et taquins.
Mais la tempête passée, les vagues scélérates se succèdent toujours, le bruit des guerres au loin ne se tait guère, et nous buvons le bouillon plus que de coutume.
« Terre ! »
La voici, notre escale providentielle. C’est un atoll avec un calme bassin central. Une eau pure et limpide. Qui donc connaît l’existence de cet îlot dans la mer Toulousaine ? La carte postale d’une plage mirifique, comme sortie d’une story insta… Et, trônant au milieu du bassin, il est là, le roi de ce Youkali, sur ses grêles jambes comme deux échasses, le Héron.
« Où sommes-nous, nom d’un chien ? » dit la charpentière à haute voix en revissant sa jambe de bois.
« Vous êtes chez moi. » répond le héron.
Nos faces ahuries s’illuminent.
« Nom d’une mouette poète, ça décoiffe les chauves-souris ! Et quel est le nom de cet îlot fort urbain ? » s’enquiert le ravaudeur de voiles.
« Le bassin des filtres, dans l’archipel des Amidonniers »
« Pouvons-nous faire escale ? Oh, juste une petite escale, quelques jours, histoire de déployer nos lanternes magiques, nos écrans et nos voiles détrempés, nos courts-métrages au mètre, nos idées bricolées, elles ont grand besoin de sécher et grande soif de rencontrer leur public » demande la gardienne du trésor.
Un silence dure ce que durent les silences qui se font remarquer. On aurait dit que le drôle d’oiseau réfléchissait, comme son reflet dans l’eau calme et pure du bassin.
« Vous pouvez. Mais avec ou sans filtre ? »
Il a fallu discuter, ça n’a pas été facile de trancher. Les filtres, ça rend la vie plus belle, ça améliore ta petite brique de lego qui essaye de se loger dans le grand bouzin incompréhensible, mais après toutes ces péripéties ineptes essuyées depuis un an, nous avions envie de sincérité.
« Sans filtre ! » conclut la rock-star à l’œil noir et la peau verte.
Magnifique et sans un mot, le héron déploie ses ailes et prend son envol.
Et soudain la crudité du monde nous saute aux yeux. La plage n’est plus une plage de carte postale photoshopée, nos peaux pas boucanées de la dernière pluie déploient gentiment leurs rides, et les trois aras multicolores sont en fait des merles moqueurs.
« Ben voilà, sans filtre ! On va se fendre la poire plus vraie que nature ! » s‘esclaffe le grimpeur de haubans, et il ponctue de son rire à démâter les galions.
Et c’est parti pour une escale sans filtres. De l’image qui claque au vent comme des drapeaux multicolores, de la convivialité, d’adelphité franche et joviale, un bouducon de programme concocté avec art mais sans artifices !
Vincent Camus | Les Vidéophages